Médecine Tibétaine (Source : Medarus.org « Portrait de médecins » Jean Yves Gourdol)
La science médicale fait partie des cinq sciences fondamentales offertes aux tibétains. Son histoire est très ancienne, elle remonte à l’origine de ce peuple. De l’éveil de Bouddha à sa diffusion en Asie, le bouddhisme est une religion, mais aussi une philosophie qui s’est répandue sans militarisme, à la différence de l’Islam et du Catholicisme.
le U-Tsang, le Khams et l’Amdo,
mais désormais, les chinois l’ont divisé en cinq :
la région autonome du Tibet (Xizang), le QinghaÏ, le Sichuan, le Gansu et le Yunnan.
Ancien royaume des confins et des montagnes enneigées (himals, en népalais), charnière inaccessible et stratégique entre le monde chinois et le monde indien, le Tibet (également connu sous l’épithète de « Trésor des grandes eaux » a connu une histoire mouvementée, interrompue par de longues périodes d’isolement.
Sur le diadème du monde, encerclé par les chaînes de montagnes neigeuses et les paysages somptueux de l’Himalaya et de la Sibérie, la médecine tibétaine a été élaborée il y a plus d’un millénaire au sein des monastères et préservée malgré de multiples vagues de répression.
La médecine tibétaine est un système thérapeutique traditionnel pratiqué depuis plus de 2500 ans, elle tire ses racines premières des principes médicaux de l’ayurveda, arrivés d’Inde avec l’expansion du bouddhisme durant le premier millénaire.
L’Ayurveda, Science de la Vie.
A partir de ses origines, l’Ayurvéda, méthode curative indienne, s’est propagée en Egypte, en Grèce, dans l’Empire romain, au Tibet, en Chine, en Russie et au Japon. Il s’agit vraisemblablement de la plus ancienne méthode holistique, de 2500 à 5000 ans d’âge selon les estimations, employée sans discontinuité. Le mot « Ayurveda » vient du sanskrit et se compose de deux éléments, Ayus (vie) et Veda (savoir). C’est pourquoi l’Ayurvéda est également qualifié de science de la vie, cherchant à établir un équilibre entre l’âme et le corps, les sens et l’esprit ; c’est un art de vivre, un art d’être.
Cette méthode venue du fond des âges s’est développée pendant des milliers d’années à partir d’observations précises des hommes, des animaux, des plantes et des arbres, de la totalité de la nature. Les guérisseurs ayurvédiques (gourous et sages) notaient les protocoles à appliquer à chaque type de maladie — et ceux qui s’avéraient inefficaces. Ils dressaient l’inventaire le plus exhaustif possible de toutes les maladies et situations de l’existence. L’Ayurvéda est donc une méthode curative hautement élaborée, puisant dans la nature, reposant sur un immense fonds de connaissances en herboristerie et sur une spiritualité évoluée.
Philosophie et principes fondamentaux de l’Ayureda
Les 5 éléments
Dans la doctrine de l’ayurvéda, les cinq éléments, à savoir la terre (Sa), l’eau (Chu), le feu (Me), l’air (rLung) et l’espace (Nam-mkha) sont présents sous différentes combinaisons dans tout ce qui existe et donc dans le corps humain. Ils se combinent par paires afin de former 3 forces dynamiques qu’on appelle les Doshas. Doshas signifie en sanskrit « ce qui change ».
Les 3 Doshas ou Forces Energétiques
Les 3 Doshas sont les forces de vie primaire ou humeurs biologiques. Ils sont présents dans tout organisme vivant et leurs dynamiques créent la vie. Les cinq éléments sont présents dans l’univers matériel sous une forme organique et anorganique, du corpuscule jusqu’à la planète. Dans le corps humain, ils se présentent sous forme biologique et sont pour ainsi dire « codés » en une manifestation biologique des doshas. Ceux-ci commandent tous les processus vitaux :
Vata, espace et air, est le mouvement; il est la première humeur. Ses qualités ou attributs sont : FROID, LEGER, IRREGULIER, IMMOBILE, SUBTIL, RUGUEUX. Vata gouverne les 2 autres humeurs qui sont incapables de mouvement sans son intervention. Il est responsable des fonctions organiques et physiques en général. Il gouverne le mouvement, l’énergie, le souffle, le système nerveux et les 5 sens. Il règle les réactions émotionnelles de peur, de nervosité, d’anxiété et de douleur. Il permet l’adaptabilité mentale et la compréhension. Il est le Prana, la force basique qui apporte l’énergie.
Son site premier dans le corps est dans le colon, puis, dans les cuisses, les hanches, les oreilles, les os. Ces qualités se retrouvent dans le fonctionnement du corps. Un excès de vata peut causer de l’irritation nerveuse, de l’hypertension, des gaz et de la confusion, de l’atonie, des congestions et de la constipation.
Pitta, feu et eau, évoque la transformation; Ces 2 forces opposées ne peuvent se transformer l’une en l’autre mais se moduler et possèdent la vitalité nécessaire au processus de vie. Pitta, la transformation représente les enzymes qui digèrent la nourriture ainsi que les hormones qui règlent notre métabolisme. Dans notre esprit, Pitta est la force qui donne les impulsions électriques des pensées. Trop de pitta peut causer un ulcère, des déséquilibres hormonaux, des irritations cutanées comme l’acné ou de la colère. Pas assez de pitta apporte l’indigestion, le manque de discernement et un métabolisme ralentit.
Ses attributs sont : HUILEUX, POINTU, PENETRANT, CHAUD, LEGER, ODEUR DESAGREABLE, MOBILE, LIQUIDE.
Sa situation dans le corps est en premier, dans l’intestin grêle, puis, l’estomac, la sueur, les glandes sébacées, le sang, la lymphe et les yeux.
Kapha, terre et eau, est l’équilibre; Kapha est structuré et lubrifié. Il forme les cellules qui construisent nos organes et les fluides qui nous nourrissent et nous protégent. Trop de kapha cause un excès de mucosité, des sinus bouchés, des congestions dans les poumons ou le colon. Dans l’esprit, cela crée de la rigidité, des idées fixes, de l’infléxibilité. Un manque de kapha provoque la déshydratation, des brûlures d’estomac dûes au manque de lubrification qui nous protége des acides. Les attributs de Kapha sont : FROID, HUMIDE, LOURD, MOU, COLLANT, DOUX, FERME
Le site de Kapha est premièrement, dans la poitrine, puis, dans la gorge, la tête, le nez, l’estomac, le pancréas, les cotes, la lymphe, le tissu adipeux.
Le site des doshas est primordial car les doshas s’accumulent toujours dans leur site premier pour donner naissance au processus de maladie. En traitant, dès l’apparition des symptômes, les sites premiers, c’est-à-dire le colon, l’intestin grêle et l’estomac, nous pouvons éliminer le problème à la base.
Les trois doshas régissent tous les événements psychologiques et physiologiques de l’organisme. Leur combinaison détermine la constitution de chaque individu. Si les trois doshas sont équilibrés, on est en bonne santé. Si, en revanche, ils sont déséquilibrés, par exemple à cause du stress ou de la pollution, une maladie peut se déclencher.
Chaque individu porte en lui les trois doshas, mais chacun avec une combinaison différente. A l’origine, nous naissons tous avec une constitution psycho-physiologique harmonieuse, appelée prakriti, qui reste inchangée la vie durant. Littéralement, prakriti veut dire « nature » et traduit la volonté de trouver son propre équilibre.
Pourtant, les doshas sont déséquilibrés chez de nombreuses personnes, état alors qualifié de vakriti. En d’autres termes, l’équilibre de leur constitution naturelle propre est faussé, ce qui peut déclencher une maladie. Pour faciliter la guérison, l’ayurveda se penche de très près sur la nature de chaque individu. La thérapie tient compte de nombreux aspects : mode de vie, alimentation, plantes médicinales, aromathérapie et thérapie des couleurs, rituels de purification, yoga et méditation… tout cela dans le but de réconcilier les trois doshas, en fonction de la constitution de chaque individu.
Vue de près, l’ayurvéda est une philosophie qui nous enseigne comment vivre de manière naturelle et équilibrée. Elle ne réduit pas le corps, l’esprit ou les sens à leurs simples fonctionnalités, mais elle présuppose un rapport naturel et harmonieux à la nature qui est conçue comme un tout. Elle crée des rapports harmonieux entre les hommes et entre les créatures de l’univers.
Unique en son genre, son origine se perdant dans la nuit des temps, elle se développa tout au long des siècles, assimilant au passage le meilleur de la médecine traditionnelle chinoise et des anciennes médecines indienne et arabe.
Première école de médecine
Il y a 1 200 ans, alors que l’Occident chrétien commence à brûler des sages-femmes en place publique pour sorcellerie, le bouddhisme tibétain élabore un savoir médical très complet, fondé sur l’observation concrète et une conception religieuse qui envisage l’homme comme un tout, où esprit et corps interagissent étroitement. La première école médicale tibétaine est créée en 762, à Menloung, dans le Kongpo, par un médecin du nom de Youthog Yeunten Gonpo. Accueillant près de 300 élèves, cette école appuyait son enseignement sur les Quatre Tantras de Médecine, dont l’auteur n’était autre que Youthog Yeunten Gonpo lui-même.
La santé étant une préoccupation essentielle pour les Tibétains, la médecine faisait l’objet d’une approbation et d’une confiance sans limite.
Les quatre Tantras de médecine tibétaine (Gyushi)
Les Quatre Tantras composés au XIIe siècle constituent la plus ancienne encyclopédie de médecine tibétaine, c’est sur eux que s’appuie, encore aujourd’hui, la médecine traditionnelle. Ils servent de base aux études médicales et leur assimilation ne nécessite pas moins de 7 ans d’apprentissage. Ils rassemblent la théorie générale de la science médicale, l’exposé des maladies et les méthodes de soins.
Le Tantra fondamental comporte 6 chapitres dont l’introduction et la table des matières, la présentation des causes des maladies, leur examen exact et les moyens curatifs.
Le Tantra explicatif, scindé en 31 chapitres relatifs notamment à la croissance de l’organisme, au développement et au déclin de la maladie, aux préparations médicinales et à la chirurgie.
Le Tantra des instructions, divisé en 92 chapitres étudient et classifient les causes et conditions d’apparition des maladies, présentent les méthodes de soins etc…
Le Tantra final, comportant 25 chapitres dont la section relative à l’examen des pouls et urines, celle relative aux calmants, celle concernant les thérapies douces et fortes… Mais pour ne parler que des préparations médicinales, on compte plus de 2.800 médicaments.
Les quatre tantras de médecine rassemblent la théorie générale de la science médicale, l’exposé de 84 000 maladies et les méthodes de soins avec 2293 ingrédients de médicaments.
Historiquement, la plupart des médecins tibétains ou amshi étaient des moines. Ils étaient formés dans les monastères, ceux-ci abritant à la fois l’école pour l’enseignement de la discipline et le dispensaire pour les soins aux malades.
Au 17e siècle, la Médecine Tibétaine traditionnelle a atteint son apogée classique. S.S. le 5e DalaÏ-Lama, qui fit construire le palais du Potala, fonda l’Institut médical Chakpori à Lhassa. Son régent, Sangye Gyamtso, révisa le Gyushi dont il publia sous le nom de « Béryl bleu » un commentaire devenu célèbre. Il fit en outre exécuter 79 tableaux illustrant son commentaire, les Thangkas de médecine (littéralement Thangka est « quelque chose qui peut être enroulée »). Ces tableaux représentent des écorchés du corps humain, des plantes médicinales, des instruments chirurgicaux etc…et constituent aujourd’hui avec le « Béryl bleu » et le Gyushi les ouvrages fondamentaux dont s’inspire la formation des médecins tibétains.
Au Tibet, le Bouddha de Médecine Bhaisajyaguru occupe une place d’autant plus importante qu’il est le « patron » des Quatre Tantra de Médecine sur lesquels s’appuie la médecine traditionnelle. De nombreuses pratiques tantriques (sadhana) lui sont consacrées ; elles sont exécutées par les yogis pour leur propre guérison ou celle d’autrui, ou encore par les médecins traditionnels, afin de consacrer les médicaments.
Il est généralement représenté en posture de méditation, tenant au creux de sa main gauche un bol médicinal et, dans sa main droite, une tige de myrobolan en fleurs (Ce nom de myrobolan est donné communément au fruit de diverses espèces d’arbres d’Asie, principalement le Prunus cerasifera,4 de la famille des Rosaceae (Rosacées) dont on sèche la prune avant d’en extraire le tanin (utilisé aussi en tannerie et dans les pharmacopées). Le plus souvent, son corps présente une couleur bleu lapis-lazuli, couleur du béryl, comme celle de son aura.
Selon un maître tibétain contemporain : « Le Bouddha de médecine est plus qu’un guérisseur du corps ou de l’esprit. Il est la force même de la compassion indéfectible qui illumine le monde entier, l’énergie thérapeutique de notre être le plus intime. » (citation extraite du « Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme », Philippe Cornu, Le Seuil)
Ses principes : des remèdes concoctés à partir de plantes et de minéraux, accompagnés de patients rituels collectifs.
Des préceptes pratiques et théoriques consignés par des moines bouddhistes dans un Atlas de la médecine tibétaine, constitué de soixante-dix-neuf thangkas, planches anatomiques enluminées et copiées à la main. Les enseignements de cet ouvrage ont été transmis depuis des siècles à des aspirants choisis pour leur altruisme au sein de l’institut bouddhique de médecine de Lhassa. En 1904, après l’invasion du Tibet par la Grande-Bretagne, un important groupe de Tibétains emporte avec lui une copie du précieux Atlas et s’installe en Sibérie (actuelle Bouriatie). Trente ans plus tard, au plus fort de la répression antireligieuse menée par Staline – au cours de laquelle des milliers de moines bouddhistes sont déportés ou assassinés – l’archiviste d’une petite bibliothèque soviétique décide de cacher, au péril de sa vie, une partie des thangkas sauvés de la destruction…
Foi médicale
En 1916, le 13e DalaÏ-Lama fonda à Lhassa la seconde école de médecine et d’astrologie, le Men-Tsee-Khang, institution ouverte aux moines comme aux profanes. La formation en Médecine Tibétaine à cette école est axée sur la formation pratique des médecins et des astrologues.
La pratique de la Médecine Tibétaine n’était pas restreinte au Tibet, mais s’étendait à la Mongolie, à la Chine, aux régions bouddhistes de la Russie (telles que la Bouriatie sibérienne) et à l’Asie centrale, ainsi qu’au Népal, au Sikkim, au Bhoutan et au Ladakh. Dans l’empire russe du 19e siècle, la réputation d’efficacité de la Médecine Tibétaine atteignit même la cour du tsar à Saint-Pétersbourg. C’est là que des médecins tibétains originaires de Bouriatie fondèrent une clinique de Médecine Tibétaine.
Annexion du Tibet par la Chine
Après l’annexion du Tibet par le Chine en 1950, le 23 mai 1951 est signé l’accord de soumission du Tibet à la Chine (l’Accord en 17 points pour la libération pacifique du Tibet). la médecine tibétaine devint la cible de lourdes persécutions lors de la révolution culturelle dès 1959. Sa pratique fut proscrite et tout fut mis en œuvre pour la faire tomber dans l’oubli, causant des pertes irréparables de pratique et de savoir traditionnels : érudits et médecins emprisonnés, corps médical décimé, médicaments et documents précieux détruits, centres médicaux rasés…
Fort heureusement, le Men Tse Khang survécut à cette sombre période, permettant à la médecine tibétaine d’être de nouveau enseignée et pratiquée dans le Tibet d’aujourd’hui.
Avant 1949, le Tibet comptait près de 6 000 monastères et monuments historiques. Seulement une poignée d’entre eux n’a pas été rasée. Depuis 1979, les Tibétains sont néanmoins autorisés à reconstruire certains monastères et couvents. L’étude et la transmission du bouddhisme y sont sévèrement contrôlées.
Dès le début de son exil en Inde en 1961, après s’être installé à Dharamsala en Inde avec 100 000 de ses sujets fuyant la répression chinoise, le 14e DalaÏ-Lama Tenzin Gyatso décide de recréer l’institut de médecine détruit du Tibet. Il ouvre un nouveau Men Tse Khang ( le « Tibetan Medical and Astrological Institute » TMAI) à Dharamsala en Inde. Extrêmement actif, tant au niveau de la formation des amshi que dans la fabrication des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle, ce nouvel Institut permet à la médecine tibétaine de reprendre peu à peu sa place auprès des populations en exil.
Les étudiants, qui ne sont plus aujourd’hui exclusivement constitués de moines, mais aussi de laÏcs, hommes et femmes, y suivent sept années d’études – grâce aux thangkas de l’Atlas de médecine, proscrits à Lhassa par l’occupant chinois. Centré sur la pratique actuelle de la médecine tibétaine et sur le miraculeux sauvetage de l’Atlas, ce documentaire nous emmène de Lhassa à Dharamsala en passant par l’Amérique du Nord et l’ex-URSS (Le temple et le monastère bouddhiste, Datsan d’Ivolga sont le centre de la culture bouddhiste de la Russie). Aujourd’hui l’Occident redécouvre et s’inspire de cette culture millénaire d’une incroyable richesse.
La médecine tibétaine suscite actuellement un engouement tout particulier dû à la vogue des médecines naturelles auxquelles elle s’apparente de par ses principes fondamentaux. La production pharmaceutique du Men Tse Khang est aujourd’hui disponible dans le monde entier et est utilisée par un public de plus en plus large.